N°
1 - 17 août 2016
Strasbourg (France) / Washington D.C.
Bisous ou pas bisous ?
Après
quelques minutes de tram, un peu de marche, une heure de train et quelques
minutes de bus, nous arrivons à l'aéroport de Bâle-Mulhouse. Et hop, en un saut
de puce, nous atterrissons à l'aéroport de Roissy. Le vol transatlantique dure
huit heures et il faut passer
ensuite l'épreuve du contrôle aux frontières des Etats-Unis. Les cinq doigts de
chaque main sont scannés et notre bobine est photographiée ! Nous sommes des
touristes bien ordinaires et nous passons sans encombre. Patrick nous attend et
nous arrivons chez lui au centre de Washington après une heure d'embouteillage.
Notre GPS nous apprend que
désormais notre maison est à 6537 km. On n'arrête pas le progrès !
La rue où habitent
Patrick, Carolyn et leur fille Mélanie se situe dans le quartier de Mount
Pleasant, une rue en pente bordée de maisons de briques avec porche et
ombragées par des arbres centenaires qui abritent des colonies de criquets
bruyants. La température oscille autour de 33°C à l'ombre, aussi
apprécions-nous la climatisation.
Carolyn et Mélanie nous
attendent. Ici on ne s'embrasse guère. On met ses bras autour des épaules de
l'autre en les tapotant et en se mettant joue à joue éventuellement. C'est le
"hug" popularisé en France par certains pour montrer que l'on aime
tout le monde ! Patrick se rappelle que cette pratique n'est guère courante en
France et nous embrasse affectueusement. Un bisou ! Un bisou ! J'explique à
Mélanie cette pratique si française. Ici on est bien loin des bises quasi
systématiques que les jeunes et les moins jeunes se donnent, même si on vient
d'être présentés l'un à l'autre quelques secondes auparavant !
N°
2 -
Jeudi 18 août
Washington
Tourisme à pied dans la
capitale fédérale
A
l'inverse de beaucoup de villes anciennes, à Washington, les monuments
principaux sont regroupés en grande partie entre le Lincoln Monument et le
Capitole sur un grand espace en longueur appelé le Mall. Regroupés, certes,
mais les distances sont grandes et des chaussures confortables sont à
conseiller.
Le monument dédié à la
2eme guerre mondiale s'étend sur le Mall entre le Lincoln Mémorial et le
Washington Monument. Formant un vaste cercle où miroite un bassin, des murs
avec les noms de chaque Etat des Etats-Unis sont ornés de volutes et de
couronnes de bronze. Le monument est grandiose pour rappeler le sacrifice des
soldats américains. Le Lincoln Memorial, inauguré en 1922, est toujours aussi
prisé, sans doute pour sa théâtralité et son originalité : dans une sorte de
temple grec, Abraham Lincoln trône plein de bienveillance et de détermination.
Les dernières 18 marches en marbre blanc symbolisent les 18 États qui
constituaient les Etats-Unis à l'époque de la présidence de Lincoln de 1860 à 1865.
A proximité, un peu sur le
côté, un monument d'une dimension modeste mais non moins émouvant, rappelle la
guerre de Corée. Une vingtaine de statues de soldats, grandeur nature, est
repartie au milieu d'une pelouse. Les soldats lourdement chargés ont des
visages très expressifs.
Après le Washington
Monument, un grand obélisque de 169 m de haut, le Capitole est en vue. Les
travaux dont il est l'objet nous découragent d'aller jusqu'à ses pieds
et
nous bifurquons sur Pennsylvania Avenue où se trouve la Maison Blanche. Comme
nous n'avons aucun plan de la ville, il nous semble judicieux de nous arrêter
au White House Visitor Center pour en demander un. Nous sommes un peu surpris
de devoir passer nos sacs sur un tapis roulant comme dans un aéroport et nous nous
apercevons que nous sommes dans un petit musée consacré à la Maison Blanche.
C'est l'endroit pour tout savoir sur la Maison Blanche, son architecture, son
histoire, ses présidents et nous avons le privilège de rencontrer Barack Obama,
presque en personne, pendant un film de 20 minutes, évoquant l'importance du
lieu, les grands événements mais aussi la vie de famille des présidents.
Le tour de la vraie Maison
Blanche est l'occasion de photos devant les grilles où des dizaines et des
dizaines de touristes se pressent. Les élections présidentielles ne sont plus
loin et on peut acheter près de là, soit un tee-shirt d'Hillary Clinton soit
celui de Donald Trump. Si on ne peut se décider, on a une réduction pour en
acheter trois ! Des gadgets divers au nom des candidats sont aussi disponibles
si on ne veut pas dépenser 10 $ pour un tee-shirt dont le propriétaire
risque d'être la risée de son entourage dans quelques mois. Les plus joueurs
peuvent aussi espérer acquérir le "collector" qui s'arrachera,
peut-être, dans quelques décennies.
Nous rentrons en faisant
l'expérience que les machines dans les bus ne rendent pas la monnaie. Notre
billet de 5 $ a été avalé
par la machine sans espoir de retour mais la perte n'est pas bien grande
puisque deux tickets coûtent 3,50. Patrick et Carolyn nous invitent dans un
restaurant branché et populaire installé dans un bâtiment industriel laissé en
grande partie en l'état. Les pizzas y sont excellentes.
Nous finissons la soirée
en préparant nos sacoches avec tout le nécessaire pour trois semaines de
périple à vélo et un départ en bus pour Pittsburgh.
N°
3 -
Vendredi
19 août
Washington
/ Pittsburgh / Homestead
Enfin nos vélos !
A Pittsburgh nous essayons
de trouver la 15e rue où se trouve le magasin de vélos qui devrait nous
procurer ce qu'il nous faut puisque nous avons renoncé à emporter nos vélos
depuis la France. Un couple, plein d'attention, nous indique la direction. Nous
traînons nos sacoches et très vite j'ai les bras qui me font mal. Compatissant,
Philippe porte presque tous les bagages le long d'un grand pont enjambant une
très large rivière. Nous arrivons enfin de l'autre côté en suant sang et eau.
Malgré le plan de notre tablette, nous sommes un peu dubitatifs avant de nous
apercevoir que nous sommes partis dans la direction opposée ! Il y a plusieurs 15es
rues, selon les quartiers de la ville divisée en nord-est, sud-est, nord-est,
etc. Les bras, déjà bien douloureux, nous en tombent et pas un taxi en vue !
Nous sommes encore obligés de continuer quelques centaines de mètres,
dégoulinants de sueur, avant de héler un taxi.
Bob et Maggie arrivent en
tandem pour nous emmener chez eux à une quinzaine de kilomètres. Nos vélos
s'avèrent être parfaitement adaptés à des côtes raides comme celle de la rue où
habitent nos hôtes. Une soirée merveilleuse commence avec ces professeurs à la
retraite, cyclistes expérimentés, ouverts et bavards.
N° 4 - Samedi 20 août
Pittsburgh
Pittsburgh ou Pittsburg ?
Bob et Maggie sont des
hôtes prévenants qui nous proposent de nous accompagner à Pittsburgh pour nous
faire voir les endroits les plus intéressants. Une proposition qui ne se refuse
pas, surtout que Bob était professeur d'histoire et qu'il connaît les endroits
intéressants que nous aurions sans doute ratés.
De Homestead à Pittsburgh,
nous reprenons en sens inverse la piste empruntée la veille, The Great Allegheny
Passage, celle qui nous mènera à travers les Appalaches presque jusqu'à
Washington. Bob nous fait passer à travers des quartiers industriels en partie
abandonnés ou reconvertis. Pittsburgh dans les années 1980 a vu ses aciéries
fermer les unes après les autres et une très importante récession a touché la
région dont elle se remet peu à peu. Les friches industrielles de la partie sud
de la ville ont été reconverties en espaces de loisirs ou en magasins le long
de l'eau.
La ville est construite sur deux rivières, l'Allegheny et la Monongahela, qui se rejoignent et forment la rivière Ohio. La ville est parait-il celle qui compte le plus de ponts aux Etats-Unis. A la confluence, dans un joli parc avec jet d'eau, une plaque rappelle l'histoire mêlée entre Anglais et Français et nous compterons les miles de la piste, the Great Allegheny Passage, à partir de là.
Pittsburgh a été baptisée
en l'honneur d'un certain Pitt d'origine écossaise et l'orthographe de la ville
a suivi l'orthographe écossaise. Il y a quelques années, le gouvernement a
décidé une uniformisation des noms géographiques terminant par Burg, ou par
Burgh, ou approchant pour ne garder que le Burg. Après
des
années d'opposition, les habitants ont obtenu de conserver l'orthographe
originelle et c'est la raison pour laquelle Pittsburgh, semble-t-il, est la
seule ville aux Etats-Unis dont le nom se termine par un h.
Andy Warhol était natif de
Pittsburgh. La ville lui a consacré un musée où nous bénéficions, grâce à nos
rides, d'une réduction de 50 %. C'est bien venu étant donné le prix élevé de
l'entrée, et que ni l'un ni l'autre ne sommes des admirateurs de l'artiste.
Le centre ville est assez
déprimant et nous n'y trouvons que des restaurants, des bars et des cafétérias
où on n'a pas forcément envie d'entrer. Pas de magasins de vêtements de
chaussures, de pâtisseries, etc et pas le moindre endroit qui pourrait vendre
des cartes postales !
Nous reprenons seuls le
chemin du retour vers Homestead. "Have you seen that..". Je commence
à m'adresser à Philippe en anglais au bout de trois jours d'immersion ! Il faut
dire que nous avons bavardé énormément depuis notre arrivée et que les vieux
réflexes reviennent. La piste longe par endroits la voie ferrée et un train
tiré par deux locomotives passe près de nous. La plupart des wagons portent
deux containers superposés. Un beau vacarme de ferraille nous entoure mais
notre étonnement va en s'amplifiant au fur et à mesure que le train passe,
passe, passe ... Et n'en
finit pas. Peut-être compte-t-il 200 wagons ! Quand nous empruntons un pont
enjambant les voies, nous sursautons au meuglement de la locomotive, pas un
sympathique sifflet, ou un avertissement autoritaire, mais un meuglement
sinistre que le conducteur doit faire entendre à quatre reprises à proximité
des villes ou d'endroits fréquentés par des animaux. Ce meuglement ponctue la
vie des habitants des environs.
N° 5 - Dimanche 21 août
Homestead / Belle Vernon 60 km
Le vrai départ sur the
Great Allegheny Passage
Bob et Maggie décident de
nous accompagner un grand bout de chemin, sur le tronçon de la vallée de
l'acier. Des usines tournent encore dont une qui entrepose des kilomètres de
tuyaux le long de la voie ferrée et, surtout, la dernière aciérie dont la
flamme brûle continuellement. De nombreux bâtiments plus ou moins abandonnés
attendent des jours meilleurs.
A Sutterville, nous
invitons Bob et Maggie à déjeuner. Philippe essaie une salade la
"Pittsburgh steak salad" composée de morceaux de steak, de frites, de
fromage et de salade verte mélangée à des carottes râpées, des tomates et un
peu de chou. Mon généreux sandwich coupé en triangle est servi avec quelques
frites en dentelles et une coupelle de mayonnaise à la framboise. Pourquoi
rajouter de la mayonnaise ?
Nous disons au revoir à
nos invités en leur faisant promettre de venir apprécier les routes et les
pistes cyclables alsaciennes. Ils semblent avoir pris cette promesse très au
sérieux et nous en sommes ravis.
La piste coupe après
quelques kilomètres Cedar Creek Park, un vaste parc qui s'étend de la rivière
au sommet de la colline. Des dizaines de familles en ce beau dimanche ont
investi les grands abris maçonnés ou loués des chapiteaux pour des fêtes de
famille au milieu de pelouses à faire pâlir de jalousie bien des jardiniers. La
pente est rude mais pas trop longue et la descente commencée dans la mauvaise
direction est assez vite abandonnée. Ouf ! Notre hôtel, cher et confortable,
nous attend en bas de l'autre côté de la colline.
N° 6 - Lundi le 22 août
Belle Vernon / Connellsville 45 km
De la forêt, de la forêt
Nous repartons vers la
piste que nous avons d'abord ratée en allant trop loin. Heureusement qu'une
belle côte en perspective m'a fait réfléchir et demander notre chemin avant
d'entamer cette montée inutile.
La piste est toujours en
bordure de la rivière Youghogheny, dans une région où jusque dans les années
50, on extrayait le charbon qui alimentait la sidérurgie. Quelques hameaux de
mineurs avaient été construits par les employeurs. Les maisons ont été rénovées
et les terrains autour ressemblent à des terrains de golf tant par la taille
que par la qualité du gazon.
La région est très boisée
et nous roulons à l'ombre. Le goudron s'est arrêté hier à une quarantaine de
kilomètres de Pittsburgh après Death Man's Hole. Heureusement le stabilisé est
presque partout de bonne qualité mais nous sentons que les chaînes souffrent des
gravillons et la vitesse s'en ressent aussi un peu. Nous pédalons pendant
presque toute l'étape dans la forêt.
Connellsville a créé un
joli parc le long de la rivière, avec même la WiFI à un endroit. Nous en
profitons avant de traverser la bourgade et gagner notre hôtel. Ce que l'on
peut appeler le centre ville est d'une laideur indéfinissable, une suite de
petits immeubles disparates et mal entretenus avec quelques malheureux
commerces vieillots. Le motel ne vaut guère mieux, le modèle immortalisé dans
des films des années 70, tout en longueur, avec des véhicules garés devant les
portes. Le bon côté est que l'on peut rentrer facilement les vélos directement
dans la chambre
N° 7 - Mardi 23 août
Ohiopyle
est un centre apprécié pour le canoë et le kayak. Le magasin d'articles de
sport spécialisé dans l'organisation de sorties sportives propose un taxi pour
Fallingwater, pas très loin, mais en dehors de la piste et sur une route avec
de belles côtes qui nous feraient perdre du temps.
Don
et Audrey habitent une vaste maison dans le style trappeur très apprécié de ce
côté de l'Atlantique, une maison de rondins qui n'a rien à voir avec les
modestes cabanes des pionniers. La maison bénéficie d'un vaste panorama sur les
collines bleutées. Du grand salon à la cuisine, la lumière traverse toute la
maison. Le salon va jusqu'au sommet du toit et une mezzanine offre chambres et
bureaux. La cuisine donnant sur le salon est extraordinaire tant par la taille
que par l'équipement ménager : un frigo américain proposant glace pilée ou en
cubes, un congélateur bas pour la nourriture, un frigo bas pour les bières et
les bocks vides pour qu'ils soient très froids. Pour ce qui est du chaud, la
maîtresse de maison peut faire face à un grand nombre d'invités avec deux
fours, une étuve, et bien sûr un vaste espace de cuisson équipé de brûleurs
pour toute taille de casseroles. Au mur au dessus des brûleurs a été monté un
robinet pour pouvoir remplir les casseroles sans les déplacer jusqu'à l'évier.
Le "basement" est la partie inférieure de la maison où une salle de
sport est installée à côté d'un dortoir, genre trappeur, en cas de grande
affluence, et d'une salle de jeux avec billard, etc...
Des fruits et des légumes
!
Paw
Paw est un petit village de Virginie Occidentale de l'autre côté du Potomac qui
fait la limite avec le Maryland. Ce nom d'origine indienne désigne d'abord un
arbre qui donne des fruits ressemblant à des mangues par la forme et qui
mûrissent en septembre ou octobre. Le village est surtout connu dans la région
pour son tunnel sur le C and O canal qui raccourcit le canal de six miles en
évitant les méandres du Potomac. Ses 950 m de long étaient franchis par les
bateaux tirés par des mulets qui trottinaient le long du chemin de halage comme
le font maintenant les cyclistes et les marcheurs. La grande différence est
qu'une rambarde de bois a été installée il y a peu pour éviter de tomber dans
l'eau. Comme le tunnel n'est pas éclairé, une lampe est indispensable. Les
nôtres sont bien faibles pour éclairer convenablement le chemin et ce n'est pas
facile de rouler droit sur un sol irrégulier dans une quasi obscurité avec des
vélos chargés. Nous avons peur de dévier trop à gauche et de passer par dessus
la rambarde.
Une
piste bitumée parallèle au C and O canal a été créée sur une ancienne voie
ferrée, le West Maryland Railroad. La vitesse de déplacement augmente au moins
de deux ou trois kilomètres/heure sur cette surface lisse. Nous l'empruntons
presque jusqu'au Fort Frederick, dont il ne reste que le mur d'enceinte copié
sur les forts construits par Vauban. Au centre deux bâtiments de bois ont
semble-t-il été reconstruits et nous avons la chance de nous trouver là pendant
le week-end où les passionnés de reconstitution historique sont à l'œuvre.
Avant
Gettysburg, le célèbre champ de bataille de l'histoire américaine longe la
route. De très nombreux monuments de toutes tailles sont dispersés dans la
campagne. Chaque régiment, chaque section, chaque brigade a fait ériger soit
une grande plaque, soit une statue en souvenir des 50 000 morts de cette
bataille des 1er, 2 et 3 juillet 1863. La guerre de Sécession opposait les
états du sud, esclavagistes, et les états du nord, abolitionnistes et cette
bataille a été un tournant de la guerre. Quelques mois plus tard, Abraham
Lincoln est retourné à Gettysburg et a prononcé un discours resté dans
l'histoire pour parler de liberté et d'égalité, de l'esclavage et d'unité du
pays. Étant donné la chaleur, nous établissons notre quartier général au Mac
Donald's car nos moteurs sont en surchauffe.
Peu
après le départ, je crève à l'arrière à cause d'une grosse épine. Nous réparons
et repartons tranquillement toujours sur la route Lincoln, celle que le
Président Lincoln a empruntée pour venir à Gettysburg.
Pour
avoir une vue d'ensemble de cette ville qui compte environ 1,5 million
d'habitants, nous montons au 57e étage au Liberty Observation Deck. Autour de
nous quelques gratte-ciel de verre
comme
le Comcast sont très impressionnants. De là haut, le centre historique est bien
petit, bien loin du fleuve Delaware et de la rivière Schuykill qui traversent
la ville. Le City Hall, un bâtiment du 19e siècle, perd de sa superbe alors que
depuis le bas, il est imposant avec la statue de William Penn au sommet, une
énorme statue en l'honneur du fondateur de l'Etat de Pennsylvanie.
Nous
n'hésitons pas en revanche à entrer dans le parc Heinz à proximité de l'aéroport.
C'est une réserve où les oiseaux en particulier trouvent de l'espace dans des
marais et des plans d'eau. Des "pieds jaunes", des petits échassiers,
se promènent sur la végétation aquatique ; plus loin, de nombreux hérons blancs
cherchent leur nourriture et des petites tortues se reposent sur des troncs
d'arbres.
La
ville est au bord de la baie de Chesapeake qui s'enfonce très loin dans les
terres. Havre de Grace regorge de commerces assez élégants et le phare plus que
centenaire, mis à la retraite depuis 1975, se dresse près du port de plaisance.
De paisibles retraités et des familles avec enfants se promènent pour profiter
de l'air déjà marin.
La
"piste" cyclable est une nouvelle fois sur des kilomètres le long d'une
très large route ressemblant à une autoroute. Cette piste est plus large qu'une
bande d'arrêt d'urgence en France. Cependant à l'approche d'un carrefour, les
véhicules souhaitant tourner à droite l'empruntent et les vélos sont alors
obligés de se déporter vers la gauche pour bien signaler leur souhait de
continuer tout droit en pédalant très soigneusement sur la ligne blanche
séparant les files. C'est encore un peu plus délicat quand nous devons tourner
vers la gauche sur une route dont les deux voies de droite tournent à droite
obligatoirement et nous obligent à être en plein milieu de la route.
Heureusement les conducteurs américains sont en général très prudents et deux
hurluberlus sur la piste marquée cyclable ne passent pas inaperçus.
N°
23 - Jeudi 8 septembre
Un
petit tour au musée du drapeau, américain bien sûr, nous raconte l'histoire de
la célèbre dame, Mary Young Pickersgill, qui a cousu avec toute sa famille et
sa servante noire un drapeau américain commandé par l'armée, un énorme drapeau
de près de 10 m de long destiné à flotter sur le fort Mc Henry aux environs de
Baltimore en 1813. Le drapeau avait alors 15 bandes et 15 étoiles, autant que
d'Etats qui constituaient les Etats-Unis. Depuis, le drapeau a été modifié. Il
ne compte que 13 bandes, pour représenter les 13 États fondateurs de 1776 et 50
étoiles pour les 50 états actuels. Ce drapeau a inspiré le poète Francis Scott
Key qui a écrit quelque temps après le poème qui est devenu l'hymne américain,
le Star-Spangled Banner.
Le point final de notre
voyage est Washington où nous avons le temps de visiter la plupart des grands
monuments de la capitale fédérale. Notre grand privilège est de bénéficier d'un
point d'ancrage chez des amis dans le quartier de Mount Pleasant. Comme son nom
l'indique le quartier est plaisant, avec des rues étroites très ombragées et
calmes. Les maisons individuelles, comme dans beaucoup de quartiers de la
capitale, sont précédées d'un escalier et de quelques mètres carrés de verdure.
Des magasins le long de l'artère principale permettent de faire des courses,
surtout chez des commerçants salvadoriens qui offrent une large gamme de
produits exotiques pour des Français.
La
ville fait des efforts pour favoriser le vélo en créant des pistes cyclables,
par exemple pour transiter par la gare, Union Station. Les cyclistes peuvent
garer leur vélo dans un abri fermé accolé à un atelier de réparation où
officient deux mécaniciens. Sur la large et prestigieuse Pennsylvania Avenue où
se situe la Maison Blanche, les
cyclistes roulent en sécurité sur une bande à deux voies au milieu de la
chaussée.
N° 7 - Mardi 23 août
Connellsville / Falling Water / Fort Hill 63 km
Deux maisons extraordinaires
Nous quittons
Connellsville sans regret... et sans vrai petit déjeuner. Rien à l'hôtel pour
se préparer une boisson chaude et tous les restaurants devant lesquels nous
passons vers 8 heures sont
fermés. Nous mangeons la réserve de nos sacoches : notre excellent pain, des
noix de pecan et deux oranges.
Après une quinzaine de
kilomètres, la vallée se resserre. Les flancs de la montagne sont de plus en
plus abrupts et la rivière est encombrée de rochers. La piste est en faux plat
montant continuellement si bien que nous pédalons sans grand effort. Quelques
conifères apparaissent et la nature est toute à nous car les cyclistes sont
très rares.
Fallingwater est la maison
la plus connue des Etats-Unis. Construite vers 1935 par le célèbre architecte
Frank Loyd Wright pour la famille Kauffmann, elle surplombe une cascade au
milieu de la forêt. Le site exceptionnel n'est pas le seul atout de la demeure.
Tout a été conçu de manière à profiter de la nature grâce à de multiples
fenêtres et une circulation naturelle de l'air. Rien de clinquant mais des
matières naturelles, du grès, du bois, de l'ameublement fonctionnel et sur
mesure dans des espaces au plafond assez bas donnant une impression de confort
et d'intimité. Nous faisons partie du 38e groupe d'une dizaine de personnes à 13 h 30, car les visites sont
très demandées et il est presque indispensable de réserver pour ne pas se voir
refuser l'entrée.
A notre retour, nous
retrouvons nos vélos chargés de sacoches et des casques simplement
cadenassés devant le magasin de sport. Pas de problème, nous avait-on dit, car
ici les vols semblent simplement inenvisageables.
Nous sommes hébergés ce
soir par un couple de Warmshowers (le site d'accueil entre cyclistes) à Fort
Hill, à quelques kilomètres de la piste. Comme le nom peut le laisser penser,
la maison se situe sur une colline. La pente est très sévère et nous suons à
grosses gouttes. Quelle chance, une voiture croise un cycliste qui s'échine sur
son vélo et le conducteur s'arrête. "Philippe ?"
"Oui
!" Je ne parle pas de moi,
hors de vue, loin dans la pente ! Les sacoches sont rapidement chargées dans la
voitures et nous continuons, plus légers mais non sans peine sur cette côte qui
semble finir à chaque tournant et qui pourtant continue à monter terriblement.
L'accueil est chaleureux
et sans prétention. Don est un self made man qui a réussi comme entrepreneur
dans la toiture après des études de droit. Audrey s'affaire avec plaisir dans
la cuisine tout en lançant quelques recherches sur son ordinateur pour
travailler à sa thèse de géographie. Ils envisagent un voyage avec des amis
l'an prochain pour faire à vélo Land'End / John O'Groats, périple très en vogue
en Angleterre. Pour ce qui est de la France, Don surtout est réticent car les
Français ont souvent la réputation de ne pas aimer les Américains. De plus ni
lui ni elles ne parlent le français mais nous pensons leur avoir donné envie de
venir, même pour peu de temps en passant ensuite de l'autre côté du Rhin pour
visiter l'Allemagne.
N° 8 - Mercredi 24 août
Fort Hill / Frostburg. 76 km
De la Pennsylvanie au Maryland
Toute la matinée, nous ne
rencontrons personne sur la piste sauf deux jeunes qui campent à l'entrée d'un
tunnel près de Markleton. A Rockwood une belle fresque a été peinte pour
illustrer le passé ferroviaire de la région et le présent de la piste qui
semble apporter une certaine fierté aux habitants et une petite prospérité.
Le viaduc de Salisbury
long de 580 m est impressionnant car on pédale entre ciel et terre au dessus
d'une rivière, d'une voie ferrée, une autoroute et une route. Plus loin,
Meyersdale a transformé sa gare en musée car les trains de voyageurs ont disparu
mais les trains de marchandises continuent à circuler sur une autre voie. Alors
que nous passons sur un pont au dessus de la voie ferrée, un train de charbon
circule qui compte une locomotive diesel, 127 wagons et deux locomotives qui
poussent à l'arrière.
La ligne de partage des
eaux se situe à 2 392 pieds soit 729 m. Nous quittons là le bassin versant du
Golfe du Mexique pour entrer dans celui de l'Atlantique. Peu après, la piste
traverse le Big Savage Tunnel qui mesure 3 894 pieds soit 1 187 m. Il est
éclairé faiblement contre toute attente et les lampes apportées de France ne
sont pas indispensables.
A partir de la sortie du
tunnel, la piste est en nette descente, contrairement au côté ouest où la pente
est douce. C'est la raison pour laquelle nous avons démarré à Pittsburgh et non
du côté de Washington. Le paysage est maintenant souvent ouvert sur les
montagnes. La frontière entre le Maryland et la Pennsylvanie traverse la piste.
Cette frontière est la plus connue des Etats-Unis. Elle a été tracée par deux
géographes, Mason et Dixon, qui ont réalisé un travail d'une remarquable
exactitude pour l'époque à partir de 1763 avant la guerre d'Indépendance. Cette
ligne a constitué la frontière entre les états esclavagistes et les états du
nord abolitionnistes. Sur le sol de la piste, la limite est marquée par des
blocs de pierre.
Nous pédalons à vive
allure jusqu'aux environs de Frostburg, du moins jusqu'à l'endroit où il faut
quitter la piste pour monter à Frostburg, point final de l'étape. La ville est
construite plus haut et la rue principale n'est qu'une succession de côtes
difficiles. Pendant quelques minutes, nous craignons même que l'hôtel soit au
diable vauvert mais nous sommes rassurés. L'hôtel est tout près mais le terrain
est tellement accidenté que le couloir desservant les chambres est en pente !
N° 9 - Jeudi 25 août
Frostburg / Cumberland / Lavale 39 km
Des fruits et des légumes
!
Nous descendons avec
plaisir la rue principale de Frostburg en direction de la piste. Un arrêt s'impose
pour faire quelques provisions à la supérette. Nous n'y trouvons pas un seul
légume ni un seul fruit à nous mettre sous la dent : que des chips, des gâteaux
et des conserves. Hier soir, nous avons fait l'expérience du "Frostburg
Freeze" en face de l'hôtel où l'on peut se restaurer en plein air et
manger des glaces. Quand nous avons ouvert un des paquets de notre commande, un
plat de champignons, chou-fleur et oignons, nous avons pensé qu'il y avait une
erreur. Parmi les jolies formes toutes panées et frites, nous avons finalement
reconnu un petit champignon puis une rondelle d'oignon. Tout était frit ! Pour
le sandwich au poisson, même traitement, du poisson pané ! Heureusement
que nous avions choisi comme garniture de la salade verte et non de la mayonnaise
comme proposé ! Notre recherche de fruits et de légumes est d'autant plus
justifiée aujourd'hui.
Jusqu'à Cumberland, la
piste suit la ligne du train touristique qui doit fonctionner seulement le
week-end. Toujours en pente, nous arrivons rapidement à Cumberland, une ville
de 20 000 habitants, célèbre entre autres pour la qualité de son charbon. Ici
est le point de départ, ou d'arrivée, de la piste "Great Alleghany
Passage" et devant la gare est incrusté dans le sol le mile 0. De là part
aussi l'autre piste, le chemin de halage du canal du Chesapeake et de l'Ohio (appelé
C and O Canal Towpath) qui va jusqu'à Washington.
Il fait 34°C à l'ombre et
notre hôtel (Econolodge) se trouve dans la ville voisine de Lavale à 9 km, pas
franchement loin, mais franchement sportif pour y arriver car il y a 5 km de
montée, gentiment à l'ombre, presque tout du long entre 5 et 7 % mais avec des
passages entre 7 et 10 %, puis entre 10 et 15 %. Des gouttes de sueur me
piquent les yeux et me tombent sur les genoux. Nous nous accordons trois arrêts
pour reprendre notre souffle et pour boire avant d'arriver au sommet de la côte
et descendre un peu à Lavale où nous devons encore pédaler un bon mile le long
d'une route assez fréquentée. L'avantage de cet endroit est qu'il compte un
magasin Aldi tout près qui vend des légumes et des fruits frais. Nous y
achetons aussi du chocolat, le même qui est vendu en France mais à un prix
presque deux fois plus élevé. La nourriture ici est chère et seules les glaces
sont bon marché.
Nos vélos dorment encore ce
soir à côté de nous dans la chambre au 3e étage car l'ascenseur est assez vaste
pour y entrer facilement. Nous apprécions la chambre climatisée et avons le
loisir, une fois de plus, de suivre la campagne électorale américaine qui oppose
Hillary Clinton et Donald Trump. C'est la seule émission qui nous intéresse car
le reste est une succession de séries américaines et de publicités pour acheter
les choses les plus invraisemblables le plus tôt possible à un prix imbattable.
N° 10 - Vendredi 26 août
Lavale / Cumberland / Paw Paw. 60 km
Le canal abandonné
Grâce à internet, Philippe
a repéré comment nous éviter la route d'hier qui nous ferait monter avant de
descendre à Cumberland. En roue libre, nous descendons jusqu'aux Narrows, puis
nous reconnaissons les environs de Cumberland, réussissons à reprendre le Great
Alleghany Passage qui nous mène toujours en descente au point 0 de la piste.
De là, nous nous élançons
sur le C and O canal towpath (le chemin de halage du canal du Chesapeake et de
l'Ohio) qui va jusqu'à Washington. Le revêtement est connu pour être beaucoup
moins bon sur que sur la piste précédente. C'est souvent une sorte de chemin de
champ avec beaucoup d'herbe au milieu. Par temps de pluie, la piste peut être très
boueuse et même maintenant, quand il fait sec, il reste des endroits un peu
humides ou bosselés par de la boue séchée. Très peu de cyclistes fréquentent la
piste à tel point que le seul cycliste avec sacoches que nous rencontrons
s'arrête au moins 50 mètres avant que nous arrivions à sa hauteur.
"Avez-vous le temps de bavarder cinq minutes ?" Il voyage seul et
campe. Il se remet de mieux en mieux d'un grave AVC il y a onze ans qui l'a
laissé muet et en chaise roulante pendant quelque temps. Depuis qu'il marche,
il s'est mis au vélo et c'est sa thérapie ! Mais il se sent un peu seul
sur cette piste. Une bonne occasion pour nous de parler anglais et d'entendre
différents accents américains.
La piste longe le canal
qui est souvent tout vert de lentilles d'eau et de nénuphars. La construction
du canal a été longue et chaotique jusque en 1850. Lors de son exploitation,
rien n'a été simple non plus car la navigation a été interrompue à plusieurs
reprises à cause d'inondations, d'éboulements et de glissements de terrain.
Finalement, le rail a eu raison du canal qui a été fermé à la navigation en
1924. Maintenant, une partie n'est même plus en eau et de grands arbres
poussent dans le lit du canal abandonné.
Un serpent de belle
taille, tout noir et brillant, se chauffe au soleil. Il est inoffensif et,
paraît-il, cette espèce est appréciée des agriculteurs car elle se nourrit de
rats qui grignotent les gaines des câbles électriques dans les hangars. Des
oiseaux de proie planent de temps en temps au dessus de nous. Philippe pense
aussi avoir vu un aigle à tête chauve s'élancer d'un arbre. En revanche, nous
n'avons pas vu d'ours noir ou de grosses tortues comme certains cyclistes en
ont aperçu.
Ce soir nous dormons à Paw
Paw chez un cycliste à la retraite qui arrondit ses fins de mois, légalement,
en hébergeant des cyclistes. La maison est toute simple, à un mile de la piste,
et le prix comprend un gros petit déjeuner pour affronter les kilomètres à
venir.
N° 11 - Samedi 27 août
Paw Paw / Hancok 57 km
Le tunnel de Paw Paw
A l'autre bout la
végétation exubérante a laissé place à une gorge resserrée et minérale.
Quelques dizaines de mètres plus loin, un éboulis a rempli le canal de blocs
énormes qui semblent avoir été taillés tant la structure de la roche a créé des
blocs réguliers.
Le canal continue
d'alterner des tronçons si secs que la nature a eu le temps de faire pousser
des arbres majestueux, et d'autres remplis d'eau couverts de lentilles d'eau
d'un merveilleux vert. C'est le domaine de canards (que nous ne connaissons
pas) et de tortues dont les carapaces brillent au soleil d'un éclat métallique.
Ces tortues qui se chauffent au soleil sur des troncs d'arbres au milieu de
l'eau sont de la taille d'une belle assiette et nous en apercevons une semblant
plus grosse encore qui remonte à la surface et replonge aussitôt. Un héron gris
foncé s'envole à plusieurs reprises à notre approche. Ici, où presque personne
ne passe, la faune s'alerte du moindre bruit comme du crépitement des
gravillons sous nos pneus.
La piste court entre le
canal et le Potomac, peu profond, où quelques canoës circulent tranquillement.
La forêt nous protège de la chaleur. A Hancock à notre arrivée à 14 heures, dans le parc à l'ombre,
il fait 35°C.
N° 12 - Dimanche 28 août
Hanckok / Hagerstown. 60 km
Leçon d'histoire
Les costumes sont la copie
exacte des costumes de 1750 avec les mêmes tissus et l'on remarque que les
uniformes n'étaient pas si uniformes que l'on pourrait s'y attendre. En effet
quand le feutre vert des jambières venait à manquer, on utilisait du feutre
rouge ou du beige et ainsi de suite. Les armes sont des reproductions elles
aussi exactes. Quelques Indiens participent à cette manifestation, en costume,
mais ce ne sont pas les Indiens de l'ouest avec de grandes plumes.
Ici s'est déroulé une
guerre de sept ans de 1756 à 1763 entre les Français souvent alliés avec les
Indiens et les Anglais pour la suprématie du territoire... et les Français ont
perdu... ce qui explique que l'on parle anglais de ce côté de l'Atlantique. A
Williamsport, quelques kilomètres plus loin, nous quittons définitivement les
pistes pour le bitume et une succession de côtes et de descentes plus ou moins
accentuées.
Ce soir, nous dormons à
Hagerstown chez des membres du réseau Warmshowers. Trois filles habitent
ensemble avec les parents de l'une d'entre elles, et deux grands chiens gentils
mais aboyeurs. La maison, louée, est très grande et nous découvrons avec un plaisir
non dissimulé une piscine ! La température dépasse largement les 30°C et nous
plongeons avec délice dans une eau presque à température ambiante. Nos hôtesses
ont un garage équipé presque comme un atelier et nous trouvons, enfin, une
pompe avec manomètre pour gonfler nos pneus correctement. Les conversations
vont bon train avec Bobbie, Kristy and Anita qui sont aux petits soins pour
nous. Une fois de plus, nous vantons à ces cyclistes averties les avantages du
tourisme à vélo en France, en Allemagne et en Autriche. Ces trois amies
semblent convaincues surtout que Bobbie a pour objectif d'apprendre le
français.
N° 13 - Lundi 29
août
Hagerstown / Gettysburg 67 km
Leçon d'histoire n° 2 la guerre de Sécession
Anita et Bobbie font un
bout de chemin avec nous. Comme les routes sont bordées d'une large bande
bitumée, on peut rouler à deux de front sans gêner le moins du monde les
automobilistes sur ces itinéraires peu fréquentés, et donc bavarder à bâtons
rompus du problème de l'obésité des Américains, des Appalaches et de Camp David
tout proche (où des Présidents des USA ont reçu des hommes d'Etats) ou des
élections américaines. Bobbie est atterrée par le niveau de la campagne et
effrayée par Trump. Elle pense que ce serait la fin de l'Amérique si Trump
gagnait. Selon les sondages, les
électeurs
américains blancs de niveau d'instruction supérieur voteront en masse pour Hillary
Clinton. En attendant, le long des routes nous ne voyons que des panneaux de
Trump plantés devant de nombreuses portes. Il semble que les électeurs
d'Hillary Clinton n'osent pas faire la même chose de peur de représailles.
Ben, notre hôte
Warmshowers, propose de venir nous prendre avec sa voiture car il vient jusque
là pour accueillir une bonne copine qui arrive par le bus. La proposition qui
nous évite 15 km sous un soleil de plomb avec quelques côtes
est
vite acceptée. En attendant, nous allons au magasin de bières, qui ne vend que
de la bière, à part quelques cocas et du thé glacé. En Pennsylvanie, on ne peut
pas acheter de bière et de vin au même endroit et il est interdit d'en vendre
aux moins de 21 ans. Ce magasin propose plus de 150 sortes de bières,
pratiquement toutes brassées aux Etats-Unis avec quelques rares exceptions pour
le Mexique et l'Allemagne. Pas une bière française à l'horizon !
Ben habite dans la
campagne profonde la maison de ses grands-parents, une maison existant déjà
lors de la bataille de Gettysburg, plaque
commémorative officielle l'attestant. Tout est très rustique et assez en
désordre mais Ben est intéressant. Après avoir travaillé dans l'informatique,
ce fils d'éleveurs a décidé de revenir à la terre et se lance doucement dans le
maraîchage bio. Il élève deux chèvres, boit l'eau du puits, excellente, et ne
mange pratiquement pas de viande. Ce soir, le repas est très frugal, végétarien
avec des légumes cultivés à quelques centaines de mètres et des champignons
ramassés dans les bois. Nous bavardons autour d'un feu de camp en regardant les
étoiles avant de nous coucher, bercés par les bruits de la nature.
N° 14 - Mardi 30 août
Gettysburg / York 58 km
Il n'y a pas de roses sans épines !
Les rues et les routes
regorgent de noms qui nous sont familiers : Baumgartner, Klinger,
Spielmann,
etc et certains détails de maisons nous rappellent l'Allemagne. Un village
s'appelle d'ailleurs Berlin.
Après la pause de midi, je
m'aperçois que la monture de mes lunettes de soleil et de vue est cassée. Nous
réparons avec du sparadrap rose, sans doute acheté pour les bobos de nos petites-filles.
En arrivant à York,
Philippe s'inquiète tout à coup d'un bruit bizarre venant de sa roue arrière.
Une grosse bosse de la taille d'une noisette vient d'apparaître sur son pneu et
quelques instants après, la chambre à air éclate en endommageant le pneu.
Nous sommes dans le
quartier ouest de York qui respire la pauvreté. Il est peuplé majoritairement
de Noirs et de gens venant des Caraïbes. Certains sont assis sur les escaliers
devant leur maison et semblent désœuvrés. Le magasin de vélos conseillé a fermé
depuis longtemps, un autre est très loin et bien compliqué à atteindre.
Finalement une bonne âme caraïbe pianote sur son smartphone et trouve le nom,
l'adresse et le numéro de téléphone d'un troisième magasin. J'enfourche mon
vélo et traverse toute la ville dans les embouteillages pendant que Philippe me
suit à pied.
Un peu tard, je m'aperçois
que la bonne âme s'est mal positionnée et m'a indiqué la direction opposée !
Pour rendre les choses plus agaçantes encore, nous avons du mal à communiquer
entre nous avec nos portables car nous ne l'avons pas encore fait aux
Etats-Unis. Contre toute attente, il ne faut pas composer le 00 mais seulement
l'indicatif de la France et le numéro de téléphone sans le premier 0 du numéro
français. En fait, c'est un mélange entre un appel depuis la France, et un
appel depuis les Etats-Unis pour un numéro aux Etats-Unis, comme nous le
faisons maintenant depuis l'arrivée.
Wall-Mart est un grand
supermarché à la sortie est de la ville qui met fin à cet épisode laborieux de
la journée pendant lequel Philippe a marché sept kilomètres à pied. On y trouve
de tout, y compris d'excellents pneus et des chambres à air. Dans la chambre de
l'hôtel presque en face, nous changeons le pneu et la chambre à air et en
profitons pour offrir à mon vélo un pneu neuf à l'arrière.
Nous respirons enfin
mieux, surtout que l'hôtel dispose d'une piscine où nous finissons de nous
détendre.
N° 15 - Mercredi 31 août
York / Strasburg 62 km
York, Lancaster et Strasburg,
nous ne sommes pourtant pas en Europe !
York a été la première
capitale fédérale des Etats-Unis pendant neuf mois de 1777 à 1778. C'est là que
les mots "The United States of America" ont été officiellement
prononcés et que la première constitution a été adoptée. Nous retournons au
centre ville que nous avons traversé hier sans nous arrêter. A 9 h 30, les commerces sont
encore fermés et même le marché couvert qui a ouvert ses portes est vide de
clients et de commerçants. Évidemment l'office de tourisme, une petite cabane
en planche peinte en blanc, est fermé lui aussi.
La ville possède quelques
bâtiments datant de sa fondation vers 1730, dont l'un est une grande maison à
colombages qui passerait tout à fait inaperçue en Alsace. Devant a été érigée
une statue du Marquis de Lafayette une flûte à champagne à la main.
La route vers Lancaster
est assez importante mais le bas côté est si large que nous nous sentons en
sécurité. Nous traversons le fleuve Susquehanna entre Wrightville et Columbia.
Le pont construit en 1930 mesure 2 029 m. Il est le plus long pont de béton
multicouche du monde. Le fleuve est impressionnant par sa largeur mais il ne
semble pas très profond puisque des îlots de verdure apparaissent de temps de
temps dans son lit. Le Susquehanna se jette dans l'Atlantique dans la Baie de
Chesapeake.
Avant Lancaster, au Mac
Donald's que nous affectionnons pour sa facilité de connexion à la wi-fi, une
dame âgée est ébahie par ce que nous faisons à vélo et nous avons toutes les
peines du monde à la convaincre que cela n'a rien d'extraordinaire. Nous avons
choisi de faire peu de kilomètres par jour, l'âge venant, mais aussi pour avoir
le temps de discuter avec ceux que nous rencontrons sur les sujets les plus
divers et éventuellement d'avoir des renseignements utiles pour la poursuite de
notre voyage.
Le paysage est toujours
très vallonné et la ville de Lancaster s'étale sur une succession de collines
qu'il faut monter et descendre. Après les noms de villes anglaises, nous nous
dirigeons vers Strasburg, Pennsylvanie, une des neuf villes ou agglomérations
des USA qui portent ce nom.
Strasburg en Pennsylvanie
semble être la plus connue car elle se trouve en pays Amish. Les Amish forment
une communauté de Mennonites très stricts qui vivent comme au 19e siècle. De
plus, le musée du train de la localité est le plus grand de l'est des
Etats-Unis.
Nous sommes attendus par
un vrai Strasburger qui habite une maison de bois comme on en voit un peu
partout ici. C'est un ami musicien d'Anita qui nous a reçus il y a deux jours à
Hagerstown. Tom ne connaît pas Warmshowers, mais il adore faire du vélo. Nous
allons au restaurant avec lui et sa délicieuse amie, une petite dame enjouée,
prof d'anglais à la retraite. A Strasburg, les restaurants ferment tôt. A 9 h, il ne reste que quelques
attardés seuls au bar.
N° 16 - Jeudi 1er septembre
Strasburg et environs 45 km
Strasburg et le passé
Journée de repos puisque
nous restons deux nuits à Strasburg chez Tom. Nous ne ferons que 45 km, sans
les sacoches, mais les environs sont une succession de courtes côtes et de
descentes qui réclament quand même de l'énergie.
Autour du musée du train
se sont greffées de nombreuses attractions et des magasins liés au train pour
le plaisir des petits et des grands. Le voyage en train à vapeur dans des
wagons de bois est bien bruyant, d'autant plus que les conducteurs ne ménagent
pas les coups de sifflet, ni les échappements de vapeur, sans compter une
cloche, sans doute pour créer plus d'excitation. Le parcours va jusqu'à la gare
de Paradise à quelques kilomètres. Pour ceux qui n'ont jamais vu une vraie
machine à vapeur et n'ont donc jamais mis les pieds dans un tel train, c'est
effectivement une attraction.
Le musée du train est plus
calme. De nombreuses locomotives, des voitures et des wagons de tous les
Etats-Unis sont exposés. Là aussi les plus jeunes ne sont pas oubliés. Les
enfants de 4 à 15 enfants peuvent faire démarrer des trains miniatures,
constituer des trains en assemblant locos et wagons, apprendre des termes de
transport sur des circuits adaptés à leur âge.
L'après-midi est consacrée
à la découverte du pays Amish en compagnie de Tom. Les Amish sont des
protestants mennonites stricts. Ils sont principalement agriculteurs,
n'envoient leurs enfants l'école que jusqu'à 14 ans ; ils se marient jeunes et
ont généralement beaucoup d'enfants mais la population décroît car certains
jeunes quittent la communauté. Dans les maisons, pas d'électricité, même si
toute l'installation électrique est faite mais les prises et les interrupteurs
sont bouchés. Ceci permet de vendre plus facilement la maison à d'autres que
des Amish. Cependant, pour le travail de la ferme, les Amish ne refusent pas
l'électricité et les tracteurs. Une part importante du travail se fait quand
même à l'aide de mules et de chevaux. Les fermes sont à taille humaine et
éparpillées dans la campagne. Il est assez facile de reconnaître une maison
Amish les jours de lessive car le linge, de couleur sombre principalement,
flotte au vent quelquefois jusqu'à quatre ou cinq mètres de hauteur. Pour se
déplacer les Amish utilisent toujours des buggys tirés par des chevaux dont le
tintement des sabots résonnent très régulièrement dans les rues de Strasburg.
L'odeur du crottin n'y est donc pas inhabituelle et nous humons avec plaisir
autour des fermes l'odeur familière du fumier de vaches.
La récolte de tabac bat
son plein. Des Amish, adultes ou adolescents, coupent à la main les plants de
tabac, les chargent sur les charrettes pour les suspendre dans des hangars de
bois dont certains sont déjà bien pleins. Le maïs est aussi une grosse
production de la région, avec le blé et le soja.
Comme dans les films
américains, nous passons sur deux ponts de bois couverts, une spécialité des
environs, qui doit sans doute venir d'Allemagne, comme les premiers colons. Les
"Fisher" sont paraît-il par ici des Amish, le nom a été amputé d'une
lettre mais l'origine germanique est évidente.
Ce soir au menu, chez
Debra, l'amie de Tom, dîner dans de la belle vaisselle de porcelaine avec du
saumon d'Alaska et des patates douces. Cela nous change des sandwiches et des
pique nique !
N° 17 - Vendredi 2 septembre
Strasburg / West Chester. 70 km
Un formidable exemple de confiance
Le paysage est toujours
aussi riant et après un orage avant-hier et un ciel voilé hier, la température est
enfin plus agréable. Les fermes Amish se succèdent, toujours éparpillées, puis
se font plus rares. Elles sont remplacées par des maisons cossues aux vastes
pelouses impeccablement tondues. Les églises aussi se succèdent, même en pleine
campagne, de toute obédience, autour desquelles souvent s'étend un cimetière.
Même dans la mort, la dévotion au drapeau se manifeste. Des dizaines et des
dizaines de petits drapeaux flottent à côté des tombes, surtout à l'approche du
Labor Day, le premier lundi de septembre.
Depuis que nous avons
quitté les pistes au plus profond de la nature, nous avons vu des drapeaux
partout. Dans certaines bourgades, on peut compter qu'une maison sur trois en
arbore un, si ce n'est plusieurs, plus ou moins grands. Souvent aussi les
maisons sont décorées de sortes de grands éventails de tissus au trois
couleurs. Aujourd'hui une bande de gars à moto nous croise avec en tête un
motard faisant flotter au vent un énorme drapeau. Il n'est pas rare de croiser
des Américains portant un tee-shirt ou un short représentant le drapeau, une
mode qui sévit jusque chez nous principalement dans les magasins de décoration
où l'on peut se procurer coussins, posters et autres bricoles portant le
drapeau américain. La ferveur,
proche de la dévotion laïque, pour ce symbole ne manque pas de nous étonner.
A West Chester, obscure
localité, les hôtels repérés sur internet dépassent largement les 100 $ la nuit
et nous n'avons pas de réponse du réseau Warmshowers. La chance va nous sourire
dans une boulangerie et pâtisserie française. Une femme va se démener pour
téléphoner à droite et à gauche. Finalement au pied levé, un membre du réseau
Warmshowers, Gibbs, vient nous chercher à vélo. C'est un cycliste acharné
affichant 17 000 km/an au compteur, préférant faire du vélo et voyager plutôt
que de diriger à plein temps son entreprise de location de voitures. Il s'en
décharge en partie en ayant engagé un manager. Gibbs nous emmène à une bonne
dizaine de kilomètres dans la maison de ses parents partis en vacances avant de
regagner son propre domicile. Une telle confiance nous laisse sans voix. Il ne
nous a jamais vus, s'est déplacé, a pris du temps pour nous montrer en détail
la route du lendemain jusqu'à Philadelphie, nous laisse
dans
une maison luxueuse en n'oubliant pas de mettre l'eau chaude en route. Un
exemple extraordinaire !
N° 18 - Samedi 3 septembre.
West Chester / Philadelphia 67 km
Belle rencontre sur la piste cyclable
Quelques courtes côtes
très raides nous attendent encore jusqu'au monument dédié à Georges Washington
dans le parc de Valley Forge. Lors de l'hiver 1777/1778, l'armée unioniste,
celle du pays en devenir appelé les Etats-Unis, combattant encore contre les
Anglais, était stationnée dans les environs. La faim, la soif et le froid étaient
en embuscade et un arc de triomphe majestueux a été érigé pour commémorer le
souvenir du Général en Chef, Georges Washington. Cet arc de triomphe se dresse
au sommet d'une colline d'où rayonnent des routes et des pistes cyclables dans
un parc verdoyant.
Bien avant Philadelphie,
une belle piste court dans la campagne ; elle est très fréquentée mais nous
sommes un peu des extra-terrestres avec nos sacoches parmi les coureurs à pied
ou à vélo ou encore en rollers. Tout en pédalant un couple de cyclistes nous
aborde et, chemin faisant, nous découvrons que la femme s'appelle Shantel, se
prononçant pratiquement comme mon propre prénom, une véritable rareté. Quant à
Rob, il aime beaucoup l'Europe où il est déjà allé plusieurs fois. La chance
est à nouveau avec nous.
Après avoir pris un verre
ensemble le long de la Schuykill Trail, [scoukil] et avoir fait plus ample
connaissance, finalement, le couple change ses plans et nous laisse
l'appartement de Shantel à Philadelphie pour la nuit. C'est une occasion à laquelle
nous n'avions pas rêvée et qui tombe réellement à pic parce qu'il aurait été
pratiquement impossible de trouver une chambre à cause de plusieurs concerts,
dont celui de la vedette internationale, Rihanna, organisés pendant ce grand
week-end s'étendant jusqu'à lundi soir.
Sur l'insistance de notre
hôtesse, nous confions même notre linge sale à sa machine et son séchoir et
profitons de ses conseils pour manger à quelques centaines de mètres dans un
restaurant japonais à un prix imbattable.
N° 19 - Dimanche
4 septembre
Philadelphia
Tourisme à pied dans la ville
Rob et Shantel viennent
nous chercher à l'appartement de la 27e rue pour aller au centre ville. Ils
seront nos guides pendant cette journée
ensoleillée. Nous gagnons donc beaucoup de temps et allons à l'essentiel.
Le gratte-ciel du Comcast
est sans doute le plus impressionnant par la taille mais le plus intéressant
est le hall, peu connu des habitants alors qu'il recèle une attraction
technique extraordinaire. Le mur du fond est un écran de 25,38 m x 7,74 m
composé de 6772 tuiles regroupant chacune 1152 cellules de quelques millimètres
de côté. La définition d'une telle surface nécessite de multiplier au moins par
cinq par ordinateur la résolution des meilleures caméras. Cet écran, qui
ressemble à un simple mur, offre un spectacle saisissant qui change de minute
en minute. Des personnages courent le long du mur, puis disparaissent, des
poissons haut de plusieurs mètres avancent, le mur semble bouger. C'est
fascinant... et entièrement gratuit.
Le Reading market est
aussi une attraction que nous n'avons pas manquée. Dans un vaste hall, de
multiples petits restaurants sont répartis au milieu de quelques commerçants
vendant surtout de l'alimentation. L'affluence est énorme mais surtout la queue
est impressionnante pour manger un "cheesesteak", la spécialité de la
ville, chez Carmen's, un des
meilleurs de la ville où même Barak Obama est venu. De très fines tranches de
bœuf sont coupées au couteau sur une grande plaque de cuisson, on y ajoute des
oignons grillés en même temps, puis le fromage de son choix, puis par exemple
des champignons, du piment, des poivrons. Tout est mis dans un grand pain assez
souple. On peut dire que c'est bien meilleur que ce que l'on peut acheter
ailleurs et qui peut lui ressembler.
La "Liberty
Bell" est à ne pas manquer pour qui s'intéresse à l'histoire américaine
tant soit peu. C'est une cloche de belle taille qui était suspendue dans le
clocher du City Hall avant 1776 et qui s'est fendue, a été réparée, puis s'est
fendue plus encore. Elle a sonné comme elle a pu quelques grandes réunions du
nouveau gouvernement. Ce symbole des premières années des USA est maintenant bichonné
et exposé pour les milliers d'Américains et les autres qui viennent réviser
l'histoire grâce aux multiples panneaux tout autour.
Il est intéressant de
passer au Visitor Center pour profiter des leçons d'histoire dispensées grâce
à des films présentés gratuitement dans des petites salles. L'histoire
américaine, si courte par rapport à l'histoire européenne, est ici rappelée
sans cesse. Un peu partout dans les États que nous traversons (Pennsylvanie,
Virginia, Maryland) des panneaux expliquent l'origine de tel village, le
passage de Georges Washington ou d'Abraham Lincoln, la bataille valeureuse ou
malheureuse de tel ou tel ou tel régiment, quand ce n'est pas l'histoire de la
construction d'une maison datant de plus de deux cents ans.
Pour finir en beauté cette
très belle journée, nous dînons dans un restaurant de fruits de mer du centre
ville avec Shental, Rob, son fils et sa petite amie. Le débit de cette jeune
fille, par ailleurs fort instruite et charmante, nous fait perdre quelques
illusions. Nous ne sommes pas encore en mesure de comprendre tout d'une
conversation rapide !
N° 20 - Lundi 5 septembre
Philadelphie / Newark 78 km
Philadelphie, côté pile
Nous prenons un solide
petit déjeuner avec Shantel dans un restaurant installé dans un ancien
entrepôt. Nous sommes toujours un peu déconcertés quand nous passons une
commande par les questions du serveur ou de la serveuse qui propose alors une
ou plusieurs variétés de pain, puis plusieurs cuissons différentes du pain,
puis quand on croit avoir tout compris, plusieurs variations pour la cuisson
des œufs, plusieurs variations pour les pommes de terre, quatre ou cinq
possibilité pour le café, etc, etc. Shantel est une aide précieuse ce matin
pour manger de délicieuses pommes de terre, du tofu, du pain beurré, des
légumes rôtis.
Pour quitter le centre
ville de Philadelphie, une piste longe des canaux et le Schuykill offrant de
très belles perspectives sur les gratte-ciel. Aujourd'hui, premier lundi de
septembre, Labor Day, équivalent de notre premier mai, une foule de coureurs et
de promeneurs profitent d'un soleil magnifique.
Dès que nous quittons la
piste, nous entrons dans une autre Philadelphie, celle des quartiers pauvres
aux rues sales, aux trottoirs défoncés, aux usines quelquefois désaffectées et
restées tristement inoccupées. Déjà dans le quartier de Shantel, pourtant
central, la saleté et le mauvais état des trottoirs n'avaient pas manqué de
nous frapper. Dans le sud de la ville, pendant des kilomètres, nous n'avons
aucune envie de nous éterniser. Par endroits, on se croirait en Afrique dans un
pays en voie de développement.
Cette pause en pleine
nature n'est que passagère car le reste de l'itinéraire, recommandé pour les
cyclistes, est une succession d'usines et de raffineries qui n'ont rien
d'attirant. Nous entrons dans le Delaware, ce qui ne change rien à
l'environnement bien triste. C'est dans une de ces très petites villes que
Martin Luther King a commencé à exercer son ministère. L'église baptiste en est
bien sûr très fière et un mur peint met à l'honneur cet apôtre de la défense
des droits des noirs américains.
Nous traversons
Wilmington, une ville de 70 000 habitants, avec des quartiers périphériques
misérables et un centre ville compacte comprenant de très hauts bâtiments
essentiellement commerciaux. L'étape sur terrain plat principalement nous
encourage à pousser un peu plus loin jusqu'à Newark. L'église baptiste à 18 h copie les carillons du
nord de la France en jouant des airs religieux qui nous sont familiers.
N° 21 - Mardi 6 septembre
Newark (Delaware) / Aberdeen (Maryland). 57 km
La traversée de la Susquehanna
Le nombre d'homonymies
dans les noms de villes et de villages est absolument stupéfiant. Newark dans
le Delaware où nous avons passé la nuit, n'est pas la plus importante des
localités de ce nom aux Etats-Unis. D'autres portent le même nom dans trois États
proches les uns des autres. Newark, dans le New Jersey, est très connue car
l'un des plus grands aéroports desservant New York s'y trouve.
La campagne du Delaware où
nous circulons est boisée et des maisons souvent modestes s'égrènent le long de
la route. Un panneau devant un village de mobil homes, très ordinaires, nous
dissuade d'entrer sous peine d'être poursuivis. Ici, laisser des ordures le
long de la route coute 1 500 $ d'amende alors que ce n'était que 300 en Pennsylvanie.
Les bas cotés ne sont pas plus propres qu'en France.
Sans nous en rendre
compte, nous quittons l'un des plus petits États des USA, le Delaware, pour
entrer dans le Maryland.
Un pont de 1,8 mile, soit
3 km, enjambe la Susquehanna que nous avons déjà traversée entre York et Strasburg
en Pennsylvanie il y a une dizaine de jours. Deux voies de chaque côté
supportent un trafic important, surtout de camions, mais il n'y a pas de piste
pour les cyclistes et pas de trottoir non plus. Aussi les véhicules nous
doublent en empruntant la voie de gauche. Des panneaux mettent en garde les
vélos à quatre reprises pour les gros joints de dilatation en métal.
Heureusement la largeur de nos pneus (26 x 1,95) nous évite tout problème mais
pour des cyclistes avec des pneus plus fins, ce sont des pièges dont nous avait
mis en garde le vélociste de Newark.
La vue depuis le pont est
saisissante avec à gauche un pont de chemin de fer et à droite un autre pont de
chemin de fer puis un pont routier. Malheureusement, l'étroitesse du pont ne
nous permet guère d'admirer et encore moins de nous arrêter. Nous ne lambinons
pas et pédalons à vive allure pour arriver de l'autre côté. "Drôlement
courageux de traverser ce pont à vélo" nous dit un monsieur. Ce n'est pas
le parcours que nous préférons mais il n'y avait pas d'autre solution pour
arriver à "Havre de Grâce", la localité de l'autre côté. Elle a été
nommée en l'honneur du Havre et s'appelait "Le Havre de Grâce" avant
que l'article soit supprimé, sans doute pour faire plus court.
Décidément, McDonald's est
notre quartier général préféré pour pouvoir se rafraîchir, manger un peu mais
surtout profiter de la Wi-Fi tout en observant les clients de tous âges et de
toutes conditions qui fréquentent l'établissement et qui, comme nous
aujourd'hui, y établissent leur bureau, ou qui achètent une boisson et un repas
pour repartir aussi vite qu'ils sont venus.
N° 22 - Mercredi
7 septembre
Aberdeen / Baltimore 57 km
Une journée sportive
Si hier soir nous avions
pris la bonne option en déviant de notre itinéraire pour atteindre l'hôtel
Super 8, une chaîne d'hôtels que nous apprécions, ce matin, l'option de la
route 7 reliant Aberdeen à Baltimore n'est pas la bonne.
En effet, l'itinéraire
proposé par internet empruntait la route 40 ressemblant à une autoroute avec
deux ou trois voies dans chaque sens et un large bas côté appelé
"shoulder", qui veut dire "épaule". L'option d'une route
plus petite, la 7, nous semblait meilleure jusqu'à
ce
que nous nous apercevions que la route n'avait souvent qu'une voie dans chaque
sens, souvent plus d"épaule", qu'elle était très fréquentée et pour
couronner le tout que ce n'était qu'une succession de montées et de descentes.
Qui l'eut crû ? Après une bonne vingtaine de kilomètres, nous nous en échappons
pour retrouver avec plaisir le bruit, la pollution et une plus grande sécurité
sur la 40.
Cette partie du Maryland
est densément peuplée et il est donc difficile, voire impossible, de relier une
ville à l'autre sur des routes tranquilles.
Nous entrons dans les
faubourgs de Baltimore après une pause que nous estimons bien méritée vu les
efforts fournis à cette température, pause à notre quartier général habituel.
La saleté, le mauvais état des routes sautent aux yeux. La vigilance est de
rigueur entre trous, déformations de la chaussée et verre brisé. Les immeubles
sont en mauvais état. Un immeuble vide et penché tient encore debout grâce à
des poutres. Une rangée d'immeubles en briques est inhabitée : les fenêtres ont
disparu et les portes du bas sont maçonnées. Des commerces sont définitivement
fermés avec des panneaux de bois. La misère que nous voyons est d'autant plus
frappante que nous avons traversé des régions où l'argent semblait couler à
flot.
Philippe crève et malgré
plusieurs arrêts pour regonfler temporairement avant l'arrivée à deux ou trois
kilomètres, nous sommes contraints de réparer sur le trottoir. Heureusement, le
quartier est devenu plus propre et peu de gens traînent dans les rues.
Les Auberges de Jeunesse
qui s'adressent à tous, jeunes et vieux, sont une vraie chance pour se loger au
centre ville à un prix relativement abordable. Notre auberge se trouve à côté
de la cathédrale, la plus ancienne cathédrale catholique des USA, où Jean-Paul
II et Mère Térésa sont venus prier.
Nous suivons quasiment
quotidiennement le feuilleton des élections américaines à la télé. Ce soir, en
groupe, nous regardons sur CNN Hillary Clinton interrogée par des citoyens
pendant une demi-heure environ, puis ensuite Donald Trump. Il n'y a pas de
débat face à face comme on en connaît en France. Les deux jeunes qui regardent
la télé avec nous soupirent en écoutant Donald Trump. Nous aussi.
N°
23 - Jeudi 8 septembre
Baltimore à pied (Maryland)
Deux espèces en voie de disparition ?
Après deux essais
infructueux pour encaisser nos chèques de voyage, nous décidons d'aller à la
"Bank of America", une grande banque sérieuse à Baltimore, métropole
de plus de 600 000 habitants.
"Non", réponse
classique, "il faut avoir un compte en banque aux USA". Nous
insistons et après une dizaine de minutes, deux employées sont sur le coup pour
se consulter, examiner les chèques dans tous les sens, rechercher des notes de
procédures pour une demande aussi inhabituelle, nous faire signer les chèques
recto verso. Nous finissons par nous asseoir et après 50 minutes
supplémentaires et un troisième employé à la rescousse nous obtenons notre
argent. Les chèques de voyage, American Express, achetés vers 2005 et oubliés
dans un tiroir, "encaissables partout dans le monde" selon la
publicité, sont donc une espèce en voie de disparition. Il y a deux ans en
Angleterre, il n'avait fallu qu'une signature et deux ou trois minutes pour
encaisser un tel chèque.
La deuxième espèce en voie
de disparition est l'huître de la Baie de Chesapeake. Elle survivra peut-être
grâce à un programme de préservation. Actuellement la population d'huîtres est
réduite à 2 % de ce qu'elle était il a deux siècles, à cause de la surpêche, de
la pollution et des maladies. Outre l'intérêt économique de conserver un
potentiel de poissons et de crustacés, les huîtres agissent comme un filtre et
autrefois elles étaient si nombreuses qu'elles pouvaient filtrer en trois jours
toute la baie de Chesapeake.
Le port de Baltimore est
toujours très actif en employant près de 17 000 personnes mais la partie
ancienne du port est maintenant dédiée au tourisme avec de grands bateaux à
quai pour des visites, de nombreux restaurants et un aquarium réputé. Se
greffent autour des musées, des magasins, tout ce qui peut retenir des
touristes mais aussi un office du tourisme spacieux à l'air conditionné très
apprécié.
N° 24 - Vendredi 9 septembre
Baltimore / Washington (District of Columbia ) 66 km
Une journée difficile mais bénie
La route 1 que nous
empruntons pour la plus grande partie de l'itinéraire n'est pas agréable à
cause de la circulation, d'autant plus que le thermomètre monte à 40° à midi.
Deux arrêts dans la journée pour nous reposer au frais à notre quartier général
nous sont indispensables.
Une dame aux cheveux
blancs engage la conversation en buvant son soda car elle est intriguée par nos
vélos. Elle est toute étonnée par ce que nous lui racontons et bénit le
Seigneur de cette rencontre. Comme elle nous voit utiliser notre tablette, nous
lui expliquons pourquoi nous sommes des clients assidus de l'établissement
pendant ce voyage : la fraicheur et la Wi-Fi ! Et Philippe lui explique ce que
c'est que la Wi-Fi ! Elle repart toute contente en nous demandant
l'autorisation de nous serrer dans ses bras et en demandant à Dieu de nous
bénir.
Un client entre portant un
tee-shirt où est inscrit en grand "Allah" en caractères latins et en
arabe. Le long des routes de campagne, il n'est pas rare de voir des panneaux
sur les boîtes aux lettres avec un verset de l'Ancien ou du Nouveau Testament.
La référence à la foi est constante ici.
En attendant, nous sommes
parmi les 69 millions de clients quotidiens de la chaîne de fast foot qui
compte 36 000 restaurants dans le
monde, dont 14 350 aux Etats-Unis. Deux panneaux rappellent brièvement que M.
Ray A. Kroc a lancé la
chaîne en achetant quelques petits restaurants à une famille Mc Donald et a
ouvert réellement le premier d'une série à Des Plaines dans l'Illinois avec
comme logo les deux arches dorées.
Nous nous perdons dans le
campus de l'université du Maryland en essayant de suivre le tracé de Google. Le
campus est immense avec des bâtiments éparpillés reliés par des allées et des
petites routes sans nom et ce n'est pas les étudiants nouvellement arrivés qui
peuvent nous renseigner, ni en sortant du campus des travailleurs immigrés ne
comprenant pas trois mots d'anglais.
Finalement la tablette
nous permet de nous sortir de ce mauvais pas et d'arriver sans encombre à
Washington, chez Patrick, non sans avoir pester contre l'état des routes même
dans les beaux quartiers de la capitale fédérale. Déformation de la chaussée,
nid de poules quand ce ne sont pas des nids de cigognes étant donné la taille !
Notre voyage itinérant se
termine après plus de 1 100 km, dont environ 400 km de pistes.
Soirée de repos complète
avec Patrick, sa femme Carolyn et leur fille Mélanie. Nous sommes accueillis à
bras à bras ouverts pour profiter pleinement de Washington pendant quelques
jours avant notre retour en France.
N° 25 - Samedi 10 à mercredi 14 septembre
Épilogue
Notre ami Patrick nous
aide à vendre nos vélos achetés à Pittsburgh sur un site du type "le bon
coin", appelé ici "craigslist". Les deux vélos seront revendus
quelques jours après notre départ à moitié prix. Ceci est une bonne solution
car cela aura coûté moins cher que le transport aller-retour en avion et nous
aura causé moins de soucis de démontage et d'emballage de nos vélos.
Ainsi pour les quelques
jours restants, nous avons toujours nos vélos et n'avons pas besoin de louer
les vélos rouges disponibles à divers endroits. Nous pédalons allègrement soit
sur les pistes cyclables, en particulier celle de Rock Creek dans la verdure et
près du zoo, ou dans la circulation
Il s'avère souvent plus
prudent à certains endroits de rouler sur les trottoirs, ce qui semble
parfaitement accepté. Cependant, la qualité des trottoirs laisse à désirer car
le revêtement constitué de plaques de ciment a tendance à se soulever par
endroits. Un très bon point est à décerner pour les descentes de trottoirs tout
à fait douces, faites pour les fauteuils roulants et les poussettes. La plupart
des villes françaises pourrait prendre modèle. Mais rien n'est parfait
:
les systèmes d'accrochages des vélos sont souvent catastrophiques. Le modèle le
plus répandu ne permet pas de faire passer les gros pneus entre les deux barres
métalliques, ni d'accrocher le vélo sans qu'il brinquebale.
La liberté du vélo et les
distances que l'on peut parcourir sans grands efforts nous permettent d'aller
jusqu'au Jefferson Monument, le cimetière d'Arlington pour se recueillir sur la
tombe de John Kennedy, le quartier de Georgetown, le jardin botanique qui
recèlent de merveilleux bonsaïs. Nous ne résistons pas au plaisir de rouler
encore sur la très belle perspective du Mall en grande partie visitée lors de notre
arrivée. La colline du Capitole ne mérite pas le nom de colline, si facile à
gravir, et donc nous gardons notre énergie pour les visites proprement dites,
comme celle du Capitole ou du musée des Amérindiens.
Dans la capitale comme
dans la partie du pays que nous avons parcourue, deux Amériques nous ont sautés
aux yeux. L'Amérique riche qui a pour vitrine les centres des grandes villes
avec leurs gratte-ciel et leurs avenues bordées de beaux magasins et de
banques, et l'Amérique pauvre des quartiers périphériques, traversés à vélo,
avec leurs routes mal entretenues et leurs immeubles parfois délabrés réservés
à une population noire et immigrée souvent désœuvrée.
Nous nous sommes agacés
des habitudes de gaspillage mais nous nous sommes émerveillés de la spontanéité
et la générosité des Américains à notre égard.
Au revoir Washington ! Au
revoir la Pennsylvanie et le Maryland, au revoir le Delaware et la Virginie !
Ce petit coin d'Amérique nous a beaucoup appris.